Le rebond estival

La lutte contre le coronavirus est loin d’être gagnée. Après la décrue de mai-juin, le rebond rapide des contaminations à partir de la mi-juillet a été stoppé une dizaine de jours après l’entrée en vigueur des mesures restrictives décidées fin juillet, au niveau national et en particulier à Anvers, et a commencé ensuite à décroître. Dans la figure ci-dessous, nous voyons ce qui s’est passé cet été dans la ville d’Anvers, qui était clairement dans une phase exponentielle. Les mesures ont fonctionné: la croissance a été rapidement stoppée.

Incidence hebdomadaire dans divers centres-villes

L’épidémie dans d’autres centres-villes augmentait également progressivement à cette époque; là aussi, les mesures nationales ont amené un changement, même si les choses ont été plus lentement en région bruxelloise. On le voit aussi dans les incidences par province.

Incidences hebdomadaires dans les provinces flamandes (à gauche) et wallonnes (à droite). Les deux graphiques incluent la Région de Bruxelles-capitale.

Les experts craignaient dès le mois de juin un rebond comme celui de la mi-juillet. Ceci étant dit, pendant presque tout le mois de juin, il y a eu environ 85 à 100 cas confirmés par jour; 10% de ceux-ci dans la ville d’Anvers, ce qui pourrait aider à y expliquer la poussée rapide. En effet, à partir de la mi-juillet, on a commencé à voir l’effet de la ‘non-bulle’ de 15 personnes (qui n’était en fait pas une réelle limitation du nombre de contacts étroits), ainsi que l’arrivée de l’été et l’idée que “c’était fini”. De nombreuses personnes ont continué à respecter très bien l’esprit des mesures. Mais en même temps, des mariages et autres fêtes étaient organisés, et les gens partaient en vacances à l’étranger. Le virus a recommencé à progresser dans les quartiers populaires des grandes villes, et progressivement aussi dans les zones rurales environnantes.

Il est utile de comparer l’évolution du nombre de cas en Belgique avec d’autres pays:

Incidence sur 14 jours aux Pays-Bas, en Espagne, France, Suède et Belgique

Sur base des données de l’ECDC, comme indiqué également dans les rapports quotidiens de Sciensano, nous constatons la chose suivante: là où la Belgique et l’Espagne ont suivi une trajectoire similaire jusqu’aux environs du 10 août, la Belgique a changé depuis et l’incidence a recommencé à diminuer.

Notre position européenne s’est améliorée pendant cette période. Le 11 août, nous avions le 4e plus haut taux d’incidence sur 14 jours: 68; l’Espagne est alors à 76. Le 6 septembre, nous étions à la 8e place avec 45, alors que l’Espagne était à 241! Le 20 septembre, l’Espagne était à 301, mais la Belgique à 96. Le 23 septembre, l’incidence belge était de 116, la sixième pire position des pays classés.

Septembre

Donc oui, nous observons à nouveau un rebond depuis deux semaines, probablement dû à une motivation moindre à respecter les mesures et aux retours de vacances, à la réouverture des écoles, et à la fréquentation accrue dans les transports en commun, les activités parascolaires, les clubs sportifs, etc. On voit cela se produire ailleurs également. En Allemagne (Institut Robert Koch), juste avant la réouverture des écoles, 50% des cas concernaient des personnes qui s’étaient rendues à l’étranger au cours des deux semaines précédentes. Une étude néerlandaise (RIVM) de la semaine dernière indique que la transmission se produit à concurrence de 70% au sein des ménages, de la famille, et des cercles d’amis et de connaissances.

En septembre, nous constatons que non seulement les centres-villes mais aussi les zones rurales ont enregistré rapidement de nombreux nouveaux cas. Alors qu’à la fin du mois d’août, environ la moitié des communes belges ont enregistré 0 cas au cours des deux dernières semaines, il y a actuellement à peine une poignée de communes par province dans ce cas.

Malheureusement, la nouvelle flambée est partie d’un niveau de contamination quotidien cinq fois supérieur à celui de début juillet (400 contre 85), et d’un taux de positivité quatre fois supérieur (4,0% pour la Belgique le 23 septembre, pour Bruxelles jusqu’à 8,2 %; contre 0,85% pour la période mi-mai-fin juin pour le pays). Le fait que la propagation se répande sur tout le territoire ne permet pas de la contenir aussi facilement.

La rapidité de la détérioration se voit dans les derniers chiffres hebdomadaires: 3.618 cas confirmés du 30 août au 5 septembre, 6.012 cas pour la semaine du 6 septembre au 12 septembre, puis pas moins de 9.618 cas du 13 au 19 septembre. Donc, fin août, nous avons dépassé la barre symbolique des 500 nouveaux cas confirmés par jour, et maintenant nous sommes déjà bien au-dessus des 1.500 cas et nous nous dirigeons vers 2.000. Est-ce dû à l’augmentation du nombre de tests?

Plus de tests et/ou plus de cas ?

Au cours de la semaine du 6 au 12 septembre, 199.254 tests ont été réalisés, dont 5.850 positifs, soit un taux de positivité de 2,936%. Au cours de la semaine du 13 au 19 septembre, 247.477 tests ont été effectués, dont 9.792 positifs, soit un taux de positivité de 3,957%. Si seul le nombre de tests avait augmenté, mais pas la positivité, alors nous n’aurions eu que 7.266 tests positifs cette dernière semaine – l’augmentation de 3.942 cas se répartit ainsi en 1.416 cas liés à l’augmentation des tests (35,9%) et 2.526 liée à l’augmentation de la positivité (64,1%), donc à l’augmentation des nouvelles infections. Le nombre d’infections augmente donc relativement plus vite que le nombre de tests. De plus, le contact tracing doit suivre plus de personnes, il y a plus de personnes présentant des symptômes qui se présentent, etc.

Outre le retour des voyageurs et la réouverture des écoles, il y a aussi la réouverture des universités. Il va aussi faire plus froid dehors (donc on va se retrouver tous plus à l’intérieur). Le risque n’est pas faible. Si nous choisissons de réduire la circulation du virus, il n’est pas indiqué de relâcher les mesures, mais plutôt de considérer où les resserrer et combien de temps les maintenir afin d’éviter que le système – capacité de testing et de traçage, soins de première ligne, capacité hospitalière – ne devienne surchargé et qu’un cercle vicieux se développe.

En effet, alors que les chiffres augmentent de façon exponentielle, il est impossible de continuer à étendre indéfiniment les lignes de défense. Aujourd’hui, nous constatons que les soins de première ligne sont à leur capacité maximale. De plus, il n’y a pas eu de repos estival, et nous n’avons pas encore atteint le traditionnel pic hivernal alors que le suivi des infections des voies respiratoires supérieures montre un pic qui n’est pas normal pour cette période de l’année (Sciensano Influenza). Le contact tracing devient également plus difficile, et à nouveau l’obtention des résultats des tests se ralentit, et prend jusqu’à 2 à 3 jours, ce qui indique que la capacité humaine et opérationnelle de testing atteint la saturation. Une fois la capacité d’une ou plusieurs lignes de défense dépassée, nous commençons à naviguer à l’aveugle. Nous devons voir cela dans le contexte d’un nombre croissant d’hospitalisations. Au cours de la dernière semaine d’août, il y a eu 103 admissions, la semaine dernière 315. Tant pour les hospitalisations que pour les nouveaux cas confirmés, le taux de reproduction est d’environ 1,3 (Sciensano).

Plus le virus circule, et cela va encore s’accélérer si nous naviguons à l’aveugle, plus il est difficile de protéger les groupes vulnérables, en particulier les résidents des maisons de repos et de soins. On constate en effet que le nombre d’infections chez les personnes âgées augmente également, comme on le voit dans la figure suivante.

Nombre d’infections par semaine et groupe d’âge

On constate une nette augmentation chez les 60-79 ans, mais aussi chez les plus de 80 ans. Ceci explique bien sûr l’augmentation des hospitalisations. Heureusement, le nombre de décès ne suit pas encore. Mais malheureusement, cela se produira tant que la diffusion continuera d’augmenter, comme l’Espagne et la France nous l’enseignent également. Dans les trois semaines qui ont débuté le 30 août, on voit le nombre de cas en France passer de 42.079 à 54.194 et ensuite à 65.346. Au cours des trois mêmes semaines, il y a eu 90, 207 et 356 décès. En Espagne, 59.703, 67.337 et 73.714 cas ont été confirmés au cours de ces semaines, avec un nombre de décès de 407, 329 et 748. A noter que l’incidence sur 14 jours au 23 septembre est de 292 en Espagne est de 193 en France; en Belgique, l’incidence est de 136; il n’est donc pas du tout impossible qu’avec une incidence qui croît encore le nombre de décès n’augmente ici aussi.

Le ratio décès/cas confirmés a diminué par rapport à la période de mars-avril, mais n’est pas tombé à zéro. L’observation plus précise de l’épidémie montre que l’âge moyen des infections a baissé – même s’il augmente à nouveau. Cette baisse est due à l’évolution des contacts intergénérationnels, bien documentés dans les études scientifiques, qui atténue la probabilité de transmission car en moyenne les seniors adaptent actuellement leurs contacts et leurs mesures de protection (lavage des mains, etc…) mieux que les jeunes en moyenne (cfr Comix). Cependant, une fois que le virus circule trop dans un certain groupe d’âge, il devient très difficile d’empêcher une grande partie de ce groupe d’âge d’être finalement infecté.

La Belgique n’est pas une île

La comparaison entre la Belgique et les autres pays européens est d’une grande pertinence: quoi que nous pensons de la gravité de la maladie aujourd’hui, ce n’est pas nous-mêmes qui choisissons “notre couleur”, mais nos partenaires européens. Quand on regarde cela d’un point de vue économique, le passage à une zone rouge voire orange est économiquement très néfaste pour la Belgique. À cet égard, le fait que l’Allemagne, qui préside l’Union européenne pour le second semestre 2020, ne veuille pas organiser de sommets européens à Bruxelles car c’est une zone rouge, est un signal d’alarme clair. Cela montre qu’il est bénéfique de maintenir des mesures proportionnées, en particulier dans l’intérêt du secteur de l’événementiel et l’horeca. C’est la circulation du virus et, surtout, la perte de confiance qui y est associée, qui nuit à l’économie, bien plus que les mesures actuelles, qui d’ailleurs sont beaucoup plus légères que lors du lockdown de mars-avril. Ceci est bien documenté dans les excellents articles de Geert Peersman et Paul De Grauwe, publiés respectivement dans De Standaard le 1er septembre et De Morgen le 15 septembre.

Au moment où nous nous dirigeons vers une phase plus “structurelle” de l’épidémie, il est vital de définir très clairement notre objectif à la lumière des critères européens, et de s’attacher à éviter d’être catalogués zones rouges ou oranges. Ce faisant, nous devons garder à l’esprit que les niveaux de contamination délimitant les codes couleurs peuvent évoluer en fonction de notre capacité à traiter le COVID-19. Les valeurs de seuil ne seront pas gravées dans le marbre, mais pourront être ajustées en fonction de l’avancée des connaissances.

Nous ne sommes actuellement pas à la hauteur de cette ambition, et la croissance rapide des infections nous conduira rapidement dans le top 5 des pires élèves de la classe en matière d’incidence. De plus, tout comme en Espagne et en France, le nombre d’hospitalisations augmente de manière indéniable.

En revanche, l’Allemagne a enregistré une incidence de 26 au 23 septembre (chiffres ECDC, et rapports quotidiens de Sciensano), pour plus de 116 pour la Belgique. Comment l’Allemagne a-t-elle fait cela? Les mesures ne sont pas si différentes des nôtres, mais ont été rapidement mises en place: les masques buccaux dans les transports en commun, l’horeca et les commerces sont obligatoires depuis fin avril – également pour les enfants à partir de 6 ans. Les normes culturelles du pays garantissent que les mesures sont correctement suivies. La Chancelière communique régulièrement, clairement, avec une autorité politique et aussi avec le bénéfice d’une formation scientifique. Depuis le début de l’épidémie, le testing, le contact tracing, la quarantaine et l’isolement fonctionnent bien, avec une mobilisation d’étudiants en médecine, de militaires et de scouts spécialement formés à cet effet. Des contrôles aléatoires sont utilisés pour vérifier si l’auto-isolation est respectée. La capacité de test et la capacité hospitalière sont très élevées. Grâce à tout ça, les Allemands prévoient que l’activité économique reviendra au niveau pré-corona fin 2021.

Que faire maintenant ?

Définir une ambition puis la réaliser nécessite que les responsables politiques, comme ils l’ont fait fin juillet, créent un cadre pour limiter le nombre de contacts individuels proches, en fonction des priorités sociétales. C’est un choix sensé de garder les écoles ouvertes et de permettre à l’économie de fonctionner le mieux possible. Ce qui implique de respecter soigneusement la distanciation sociale, le port du masque, le télétravail, l’enseignement à distance dans l’enseignement supérieur, les restrictions dans l’horeca, les événements culturels et sportifs, et surtout les contacts dans la sphère sociale. Tout cela doit s’accompagner d’une communication appropriée et de l’élaboration d’un cadre motivant, pour lequel le groupe d’experts psychologie et corona a déjà formulé beaucoup de recommandations.

Des efforts soutenus sont importants pour la protection de la santé publique ainsi que pour l’économie du pays (et donc la solidité des finances publiques et de la sécurité sociale) et l’éducation de notre jeunesse. Bien sûr, beaucoup souffrent des mesures, économiquement, socialement et psychologiquement. Mais moins en moyenne que de la perception accrue du risque liée à l’augmentation des hospitalisations – comme le montre la figure ci-dessous basée sur la Grande Etude Corona – et l’attention accrue des médias et, in fine, le risque croissant de mesures plus strictes qui en découle.

La réponse appropriée à ces problèmes est d’offrir des aides ciblées mais suffisantes à ces personnes, pas de laisser le virus circuler, ce qui peut conduire à un nouveau lockdown généralisé.

En résumé, en juin, en tant qu’experts, nous étions préoccupés par le “plateau” de 85 cas par jour. Fin août, notre pays a brièvement atteint un plateau d’environ 400, puis a commencé à monter très rapidement. Dans le même temps, nous savons depuis la première vague et aussi le rebond de juillet qu’on peut “dompter la courbe”. Il s’agissait de mesures très générales en mars-avril, mais beaucoup plus ciblées en été, avec des mesures différenciées entre le centre-ville et les environs d’Anvers, le reste de la province d’Anvers et le reste du pays.

Nous plaidons pour la fixation d’un objectif clair, qui ne soit pas seulement “stabiliser la courbe et ensuite on verra … “, car cela conduit à une relaxation trop rapide des mesures, mais plutôt un niveau de circulation du virus qui soit soutenable et que nous essayons patiemment d’atteindre via des mesures pas trop compliquées et bien comprises et communiquées. Par exemple, viser la convergence avec l’Allemagne. Pour cela, il ne faut pas viser simplement à maintenir la circulation du virus à un niveau donné mais plutôt, par exemple, maintenir le taux de reproduction Rt égal à 0,8. L’analyse des principales sources de transmission nous apprend que dans la sphère sociale, nous devons “sécuriser” nos contacts: il est permis d’avoir pas mal de contacts s’ils sont sûrs (càd à distance, avec masque, à l’extérieur). Nous devons par contre limiter les contacts plus étroits. Ce faisant, nous pouvons donner la priorité à des objectifs sociétaux, tels que garder les écoles aussi ouvertes que possible, veiller à ce que les soins de santé fonctionnent bien (ce qui n’est actuellement plus possible dans les soins de première ligne), protéger les personnes âgées, veiller à ce qu’un maximum de secteurs économiques fonctionnent le mieux possible, et soutenir significativement les autres. Puisque des contacts sociaux informels trop nombreux et trop étroits constituent un risque, nous devons organiser une partie de notre vie de manière prudente – et le secteur de la culture et des événements peut jouer un rôle important à cet égard. Outre leur offre ‘en temps normal’, ils ont également l’habitude de ‘canaliser’ de grands flux de personnes de manière efficace, sûre et néanmoins agréable.

Nous devons donc apprendre à vivre avec des mesures soutenables qui gardent le virus sous contrôle.